Que le concept « d’autiste lourd » connaisse une surprenante popularité à l’heure où la médecine l’a définitivement abandonné est, je crois, dû à ses divers avantages pour ainsi dire politiques. Premièrement, évoquer les « autistes lourds » est la manière la plus commode de relâcher ou d’éviter les efforts d’inclusion, à l’école comme dans l’emploi. Deuxièmement, expliquer le devenir de la personne par sa nature profonde permet de maintenir en place n’importe quelles pratiques ou techniques anciennes, y compris les plus arbitraires et les moins efficaces, tout en disqualifiant les nouvelles façons de faire, voire les témoignages troublants lesquels, dans une terminologie kuhnienne, devraient en temps normal suffire à faire voler en éclats les paradigmes erronés. Troisièmement, la question des troubles du comportement, ou plutôt des mesures à adopter pour y remédier, est écartée in toto, de par la croyance qu’il y aurait un lien entre le prétendu degré d’autisme et les troubles du comportement. Quatrièmement, et à un tout autre niveau, il faut reconnaître que les choix terminologiques des nouveaux acteurs du domaine de l’autisme, par ailleurs parfaitement respectables et porteurs d’une approche nouvelle, n’ont pas été heureux : soucieux, à l’instar de toute entreprise digne de ce nom, de recruter des personnes porteuses d’un certain nombre de compétences, ces acteurs affirment le plus souvent rechercher des « Asperger », postulant ainsi l’existence d’un lien hypothétique entre cette catégorie ancienne et telle ou telle compétence ponctuelle, alors même qu’aucune étude ne le montre et que les contre-exemples ne font pas défaut. Sur le plan des politiques publiques, une ramification pernicieuse de la croyance en la dualité des autismes tient en la question de la répartition des moyens. Dans pareille perspective, il paraît manifeste que la personne tenue pour « lourde » ait davantage de besoins et vive dans des conditions plus précaires. Or, à diverses variations près, tel n’est pas nécessairement le cas : si l’on fait abstraction ici de toutes les défaillances possibles des établissements, rien n’indique que la qualité de vie d’une personne quadragénaire ou quinquagénaire par exemple porteuse d’un autisme dit lourd soit de ce fait même moins bonne sur le plan matériel que chez une personne porteuse d’un autisme dit léger. Bien au contraire : du fait de la configuration des moyens disponibles, peut être émise l’hypothèse d’une meilleure et plus fiable mise à disposition des ressources fondamentales à la vie telles que la nourriture et le gîte chez la personne tenue pour « lourde »

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